Faut-il confiner la jeunesse à un âge ou à une tranche d’âges ? Faut-il que le débat sur ce thème devienne un débat entre les jeunes et leurs aînés … Faut-il dresser une barrière entre deux mondes et chercher à les faire dialoguer ?
Pour ma part, je ne puis me résoudre à une telle entreprise ! Ceci, sans oublier que les conditions de vie des hommes diffèrent d’un pays à un autre. Dans certaines contrées, les enfants engagés dans le monde du travail à un âge très bas, ne vivent pas cette jeunesse comme on l’imagine communément. A contrario, chez les franges nantis de certaines sociétés, la vie de jeunesse empiète largement sur l’âge adulte, l’espérance de vie étant elle-même bien plus longue que d’ordinaire. Chez d’autres catégories, comme les intellectuels, les scientifiques, les politiques, etc. … l’hyperactivité intellectuelle et/ou physique repousse aussi les limites de la jeunesse. Aussi, il me semble heureux de se libérer d’un cloisonnement des jeunes dans la carapace physique d’un âge ou d’une tranche d’âges déterminés et, dans une telle approche, parler plutôt de la jeunesse !
La jeunesse !! Ce mot qui sonne comme un élan d’espoir, comme une lumière qui fend les ténèbres, comme un tourbillon qui secoue la torpeur et la lassitude.
La jeunesse. Je parlerai d’abord du désir de vivre et d’aimer qu’elle porte en
elle. J’en parlerai en tant qu’idéal de renouveau intellectuel, d’esprit d’innovation et de création, en tant que fureur de changement portée par l’énergie de la force de l’âge ou de la force de caractère, cette fureur poussant souvent au désir de rompre avec le mode de vie existant.
J’en parlerai aussi dans le contexte actuel d’un monde caractérisé par le rapprochement entre les hommes, fruit des développements technologiques tout azimut: transports rapides, circulation instantanée de l’information, communication avec tous sans limites d’espace et de temps.
Dans ce contexte sera exploré le rapport entre la jeunesse et la politique ; la politique dans son acception la plus large, celle qui assimile tout acte de l’homme dans la Cité à un acte politique. Ainsi, est-on amené à examiner le rapport de la jeunesse à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à la condition de la femme, à l’environnement, à la tolérance, etc. …

1- La jeunesse et la fureur de vivre et d’aimer

Je ne sais pourquoi cette vision de la jeunesse me renvoie toujours à une personnalité emblématique de la culture tunisienne : le poète de la vie et de l’espoir, Aboul Kacem Chebbi. En effet, ses vers résonnent dans mes oreilles, et je l’écoute exprimer l’extase de l’amour à la vue de sa bien-aimée qui le séduit par la fureur de vivre qu’elle dégage, sa jeunesse tendre et enivrée, ses lèvres que survolent mille baisers …

ويفْتِنُني فيكِ فيضُ الحياة …… وذاك الشّبابُ، الوديعُ، الثَّمِلْ

ويفتنُنيسِحْرُ تلك الشِّفاه ……ترفرفُ منْ حولهنّ القُبَل

Quelle plus belle illustration du désir de vivre et d’aimer que les poèmes de Chebbi ? Ces poèmes qui allient paradoxalement une sensibilité, une tendresse et un romantisme infinis avec une force inébranlable de refus de la soumission et de la mort !! Et notre poète de crier : je survivrai, malgré le mal,
malgré les ennemis … je vivrai comme un aigle au dessus des cimes … portant mon regard vers l’horizon, baignant dans la lumière, sans me soucier des brumes, des pluies ravageuses et des eaux marécageuses …

سأعيش رغم الــداء والأعــداء … كالنسر فوق القمة الشماء
أرنو إلى الشمسالمضيئة هازئا … بالسحب والأمطار والأنواء

De nos jours, Chebbi, chanterait certainement avec Gloria Gaynor : « I
will survive » !! Les temps ont, en effet, changé, mais les élans vers la vie et l’amour sont les mêmes … ”I Will Survive , Oh as long as I know how to love I know I’ll stay alive” chante Gaynor …

2- La jeunesse : rupture et renouveau

Le même élan de la vie et de l’amour qui secoue l’âme de la jeunesse, la porte vers les défis de la rupture et du renouveau … Et j’entends toujours, nous entendons toujours Chebbi secouer le destin, le sommer de se plier à la volonté du peuple. On l’entend dissiper les ténèbres et briser les chaînes :

إذا الشعب يوما أراد الحياة … فلا بد أن يستجيب القدر
ولا بد لليل أن ينجلي ….. ولا بد للقيد أن ينكسر

Et s’il fallait puiser dans l’histoire de la Tunisie contemporaine, on observe que le début du siècle dernier était marqué par l’action politique, syndicale, associative et intellectuelle de jeunes militants qui ont préparé le terrain à la lutte pour l’indépendance du pays et contribué à la conception des idéaux qui ont guidé la genèse du jeune Etat tunisien indépendant. Dans ce contexte, l’on peut citer d’abord Kheireddine Ettounsi (1822-1890) qui, au 19ème siècle, tenta déjà de réformer l’Etat et l’Histoire lui retient notamment la création du Collègue Sadiki en 1875 qui fut un lieu de formation pour une grande partie de l’élite qui mena la lutte pour l’indépendance et participa à la fondation de l’Etat tunisien moderne. Le début du 20ème siècle connut plusieurs figures marquantes: Tahar Haddad (1899-1935), Habib Bourguiba (1903-2000), Farhat Hached (1914-1952), … Par leur action militante et/ou par leur apport intellectuel, ces jeunes hommes ont investi la vie publique et élaboré les prémices d’une pensée politique, sociale et économique tunisienne qui a permis l’éclosion d’un pays moderne, enraciné dans son histoire et résolument engagé sur la voie du progrès.

3- Jeunesse et mondialisation

Après ce regard rétrospectif qui permettra de mieux appréhender la vision de l’avenir, essayons d’examiner ce qui hante la jeunesse d’aujourd’hui.
Il est clair que le monde s’est fortement transformé durant les deux dernières décennies sous l’effet de trois changements majeurs :
– la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide,
– l’apparition d’Internet et le développement fulgurant des technologies de l’information et de la communication,
– la place grandissante accordée à la protection de l’environnement.

Quoique semblant indépendants, ces trois grands axes se recoupent, interagissent et conditionnent l’avenir des générations montantes. En effet, la fin du clivage entre l’Occident capitaliste et le bloc soviétique communiste a créé un vide idéologique de part et d’autre des ruines du mur de Berlin. Ce même vide a rempli le Nord et le Sud de la planète. Dès lors, plusieurs questions se posent : quels idéaux porte la jeunesse de ce troisième millénaire? Quel rapport a-t-elle avec la politique ? Comment envisage-t-elle l’avenir ? Quel comportement a-t-elle selon la région du monde et dans une même région, selon le niveau de vie ou la frange de la population ? Si l’on ne peut prétendre répondre à toutes ces questions, on peut s’aventurer à imaginer les orientations et les projets d’une jeunesse soumise à l’effet combiné des trois changements planétaires majeurs cités plus haut.
Du point de vue idéologique, le vide laissé par le déclin du communisme est comblé principalement par une montée du nationalisme et de l’intégrisme religieux, la troisième voie plus apaisée étant celle du non alignement et d’une approche pragmatique dépassionnée. Toutefois, les échanges rendus possible par Internet, la télévision satellitaire et les autres outils de téléphonie et de messagerie produisent un double effet : un effet de connaissance de l’autre qui
facilite la compréhension et apaise les extrémismes et un effet de facilitation
de la diffusion de certaines conceptions du politique ou du religieux qui traversent toutes les frontières et sont susceptibles de façonner les esprits. La jeunesse est ainsi ballotée entre son vécu qu’elle communique facilement  à l’Autre et cet Autre qui l’influence nécessairement en lui proposant sa vision et en lui montrant son mode de vie. C’est de cette dialectique qui s’opère à une échelle planétaire que se façonne la personnalité d’une certaine jeunesse. On comprend aisément que cette jeunesse là, est celle qui se trouve branchée sur la toile, la télévision satellitaire et autres support de communication moderne. La jeunesse qui se trouve recluse à l’extérieur de ce nouveau monde en réseau a certainement d’autres orientations et d’autres projets. Toutefois, nous vivons tous sur la même planète ! Et que cette jeunesse se trouve dans les villes sans être assez impliquée dans la vie en réseau ou dans des zones rurales mal équipées, elle subit nécessairement les effets des changements provoqués par la révolution informationnelle et aspire à en tirer profit pour améliorer ses conditions de vie. Faut-il rappeler à ce niveau, que la condition essentielle du développement humain est l’éducation qui ouvre la voie vers les horizons de la connaissance et de l’échange. Force est de constater à cet égard que beaucoup de jeunes en sont encore privés sur la planète. Plus encore, la lutte contre la pauvreté et le travail des enfants sont encore d’actualité dans plusieurs régions du monde. La santé reste également un souci majeur de l’humanité. Enfin, l’emploi constitue dans tous les pays du monde un dilemme constant et la jeunesse est la plus exposée aux affres du chômage. Ainsi, on est amené à évoquer les Objectifs Du Millénaire pour le développement (ODM) que l’ONU a fixés pour l’horizon 2015. Parmi les objectifs du millénaire, figure celui d’assurer un environnement durable. En effet cet élément est le troisième de la trilogie mentionnée plus haut. Il a un impact direct sur la jeunesse puisqu’il conditionne la qualité de la vie voire sa pérennité sur certaines parties de notre planète pour les générations futures. Avec tout ce que cela peut impliquer de dégradations des conditions de subsistance de certaines populations et l’exacerbation des tendances migratoires chez sa jeunesse.

Pour conclure, l’on peut dire qu’être jeune en 2011, c’est avoir la chance de vivre une époque qui connait un énorme progrès de la science et de la technologie, une époque qui connait un relâchement de la tension entre les deux superpuissances qui se sont consolidées suite à la fin de la deuxième guerre mondiale. Mais, être jeune c’est aussi vivre des difficultés et des instabilités économiques chroniques,  c’est affronter d’énormes défis environnementaux  qui rendent imprévisible l’avenir. Etre jeune, c’est aussi vivre dans un monde très inégalitaire où certains possèdent tout et d’autre meurent de faim. Dans un monde globalisé, de telles disparités sont susceptibles d’être des sources de tensions et de bouleversements incontrôlables. Que de thèmes à méditer ! Que de chantiers devant la jeunesse ! Que de débats en perspectives …

By RL

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