Alors que toutes les mesures de précaution sanitaire ont été abolies en juillet, la situation n’est pas jugée alarmante par les experts, les politiques et le grand public.
Un virus qui circule à des niveaux très élevés depuis quatre mois (en moyenne 30 000 nouvelles infections par jour sur les sept derniers jours), mais des hospitalisations bien moins nombreuses que lors des précédentes vagues (entre 700 et 800 admissions par jour, 919 personnes placées sous ventilation) et un nombre de décès important mais lui aussi stable (plus de 100 décès quotidiens depuis mi-septembre)…
Alors qu’une partie de l’Europe est submergée par une cinquième vague épidémique, la situation sanitaire au Royaume-Uni est étonnamment moins alarmante qu’en Autriche, en Slovaquie ou aux Pays-Bas. Et ce, en dépit de l’abolition de toutes les mesures de précaution sanitaire en juillet (en Angleterre seulement), comme la distanciation sociale ou l’obligation du port du masque dans les transports en commun, et le choix du gouvernement Johnson de ne pas introduire le passeport vaccinal.Lire aussi Article réservé à nos abonnésCovid-19 : en Angleterre, la bonne surprise de la levée des restrictions
« Rien dans les données disponibles n’indique qu’il faut activer notre plan B », a assuré Boris Johnson, en début de semaine. Le « plan B » prévoit la réintroduction de mesures sanitaires, à commencer par l’obligation du port du masque et le travail à la maison.
Hausse de l’immunité et vaccination
Même opinion pour le professeur Neil Ferguson, épidémiologiste à l’Imperial College à Londres : « A ce stade, le plan B n’est pas nécessaire. » Interrogé par Le Monde et un groupe d’autres journaux européens, le 23 novembre, avant la découverte du variant Omicron, qui pourrait être plus contagieux que le variant Delta et présente des risques de résistance aux vaccins, l’épidémiologiste, qui fait partie des conseillers scientifiques du gouvernement Johnson, tente une explication. « Si nous sommes dans une situation différente du reste de l’Europe, c’est principalement parce que nous avons permis à l’infection de se propager à de très forts niveaux durant les quatre derniers mois. Depuis le 1er juillet, le Royaume-Uni a comptabilisé cinq millions de cas, soit 7,5 % de la population. Le réel niveau d’infection est probablement deux fois supérieur, de nombreuses personnes infectées étant asymptomatiques, surtout les personnes vaccinées », estime le chercheur, devenu célèbre pour avoir été celui dont les modélisations ont convaincu Londres de confiner la population.Lire aussi Au Royaume-Uni, l’épidémiologiste vedette Neil Ferguson démissionne après avoir enfreint le confinement
« Cette épidémie, ayant touché 15 % de la population, a contribué à augmenter substantiellement l’immunité, notamment chez les adolescents non vaccinés [la campagne vaccinale pour les 12-15 ans n’a démarré qu’en septembre], mais aussi probablement celle des doubles vaccinés réinfectés. Le pays est également en avance sur le reste de l’Europe pour l’administration des troisièmes doses. » Plus de 70 % des personnes ayant eu leurs deux doses il y a six mois ont désormais reçu un rappel ; dont 80 % des plus de 60 ans.
L’Angleterre a fait le choix de la proximité pour cette nouvelle campagne vaccinale : les troisièmes doses (c’est le vaccin Pfizer-BioNTech qui est utilisé) sont administrées dans les pharmacies de quartier et non plus dans des centres vaccinaux ad hoc. Ces boosters, comme on les a baptisés dans le pays, semblent extrêmement efficaces pour restaurer une immunité déclinante. Les personnes de 50 ans et plus ayant reçu leur troisième dose (après deux doses de vaccin AstraZeneca-Oxford ou Pfizer-BioNTech) sont protégées à plus de 93 % contre les infections symptomatiques, selon l’Agence britannique de sécurité de la santé. Dans la semaine du 1er novembre, l’Office national des statistiques a constaté une augmentation des anticorps chez les 70 ans et plus, un « résultat probable de la campagne de la troisième dose ».
Coût humain élevé
« Nous constatons un étonnant équilibre entre des facteurs accentuant les transmissions [l’augmentation des contacts humains] et ceux qui accentuent l’immunité. C’est une situation inédite, nous avons vraiment de la chance, mais elle est fragile », prévient encore Neil Ferguson, « les cas pourraient augmenter rapidement de nouveau ». Ou un variant plus contagieux, ou échappant aux vaccins, apparaître.Lire aussi Covid-19 : Omicron, le nouveau variant, est dit « préoccupant » par l’OMS
S’agit-il d’une stratégie délibérée du gouvernement Johnson de parvenir à une immunité collective ? Cette stratégie avait été très brièvement envisagée par Downing Street au tout début de la pandémie, mais très vite abandonnée. « Il y a surtout eu une décision politique l’été dernier de revenir autant que possible à une vie normale, plutôt qu’une stratégie délibérée d’atteindre l’immunité collective », estime M. Ferguson. Cette dernière finira-t-elle par être atteinte en Angleterre ? « C’est très difficile à prédire », relève l’épidémiologiste, « on constate que les vaccins offrent un très haut niveau de protection contre les hospitalisations et les morts mais beaucoup moins contre l’infection par le variant Delta. »
Mais cette stratégie du « vivre avec le virus » a un coût humain élevé et impose une pression considérable sur le système de santé britannique, alors que six millions de personnes attendent toujours une opération ou un traitement, décalés à cause de la pandémie. « Nous avons comptabilisé presque 16 000 décès liés au coronavirus depuis le 1er juillet. Et 120 000 personnes ont fait un séjour à l’hôpital depuis cette date », souligne le professeur Ferguson. Il insiste cependant sur l’efficacité considérable des vaccins : si « environ une personne sur deux arrivant à l’hôpital a reçu ses deux doses, les non-vaccinés sont très largement majoritaires dans les services de réanimation, et parmi les morts ».