Innovations : la montée en puissance de la Tunisie ?

REPORTAGE. Alors que le pays se positionne de plus en plus comme un laboratoire d’innovations technologiques sur le continent africain, qu’en est-il réellement de cet écosystème tant loué ?

Par Dounia Ben Mohamed, à TunisPublié le 07/10/2019 à 14:00 | Le Point.fr

Avec le Start-up Act, le gouvernement veut faciliter la naissance et le developpement de start-up en simplifiant les procedures et en ouvrant l'acces aux financements.
Avec le Start-up Act, le gouvernement veut faciliter la naissance et le développement de start-up en simplifiant les procédures et en ouvrant l’accès aux financements.© Reuters / ZOUBEIR SOUISSI

PROFITEZ DE VOTRE ABONNEMENT À 1€ LE 1ER MOIS !

S’il ne fallait retenir qu’un chiffre pour résumer à la fois le potentiel de la Tunisie en matière de technologie et de digital, et sa nécessaire orientation vers l’Afrique, ce serait celui-là : la Tunisie forme, chaque année, 10 000 ingénieurs dans le secteur. Des jeunes qui sortent des écoles tunisiennes avec une formation de qualité… mais sans perspective d’emplois dans leur pays.

Lire aussi Afric’Up, là où toute la tech africaine se retrouve

Paradoxe

« La Tunisie est un pays de paradoxe, reconnu pays africain le plus innovant (Bloomberg), occupant la première place pour la qualité de son environnement entrepreneurial (Global Entrepreneurship Index) et disposant de la meilleure connexion internet mobile du continent (Speedtest Global Index). La Tunisie regorge de talents inexploités, c’est ce qu’a révélé Forbes dans un article publié le 11 janvier 2018. Le pays dispose de nombreux atouts pour être un hub technologique régional, les TIC représentent 7,2 % du PIB autant que le tourisme, 7,5 % de taux de croissance, 100 000 emplois (création de 7 500 postes/an), 1 200 entreprises TIC implantées, il produit environ 10 000 ingénieurs par an pour une population de 11,6 millions, soit autant que la France proportionnellement, pour une population de 67 millions qui forme environ 32 000 ingénieurs par an. C’est un des écosystèmes start-up africains les plus actifs, intéressant dans sa diversité et son approche. La Tunisie n’a-t-elle pas été le premier pays en mettre en place un cadre pour faciliter le lancement et le développement de start-up, le Startup Act, mais elle n’en demeure pas moins inconnue à l’échelle du continent et dans le monde. Pourquoi ? C’est à cette question que nous tentons de répondre avec Afric’Up », analyse dans le détail Mohamed Zoghlami, cofondateur d’Afric’Up. Ce passionné de jeux vidéo et d’intelligence artificielle a opéré un virage à 360° dans sa carrière professionnelle pour passer d’enseignant à entrepreneur et ainsi encourager, à travers Afric’Up entre autres, l’innovation technologique made in Tunisia… et plus largement celle du continent africain.

Lire aussi Yann Kasay : « Ce que l »innovation technologique sur place peut apporter à l »frique »

« Un des écosystèmes start-up africains les plus actifs »

« C’est parce que la Tunisie est un hub de talents, de savoirs, d’éducation, de recherche et d’innovation à l’échelle africaine, qu’elle a été choisie par l’Alliance Smart Africa pour mener la réflexion sur le développement de l’écosystème start-up africain, poursuit Mohamed Zoghlami. Un continent où la Tunisie, à plus d’un titre, joue ce rôle de laboratoire technologique ainsi que l’explique Karim Koundi, associé – TMT Industry Leader Afrique francophone divisory Services Leader Afrique centrale – chez Deloitte. « En me basant sur ma propre expérience dans la région, autrement dit l’Afrique francophone, je constate que la Tunisie a plusieurs atouts pour jouer ce rôle de hub dans tout ce qui est développement de l’écosystème innovation et start-up au niveau de l’Afrique. » Et de les énumérer : « Le premier, ses compétences en termes de ressources humaines. La Tunisie est un vivier de compétences dans les domaines de la tech et du digital. Le deuxième, sa position géographique qui lui permet d’être un hub, mais aussi une porte d’entrée pour les autres continents vers l’Afrique. Le troisième, la Tunisie étant un petit pays, le marché tunisien reste relativement petit donc de facto les Tunisiens sont ouverts à tous les autres marchés. Ce qui est un atout majeur.

Lire aussi Numérique : pourquoi l »frique ne doit rien lâcher

Lire aussi Libérer l »innovation made in Africa ! »

Ceci étant dit, « pays de paradoxe », si les autorités tunisiennes affichent, et ce depuis plusieurs années, l’ambition de se positionner comme hub tech, elles peinent à apporter des réponses à des freins majeurs. « En termes de faiblesse, poursuit Karim Koundi, « Il y a beaucoup à faire au niveau de la mobilité et du transport des produits, services et personnes à l’intérieur du continent. Je pense notamment à tout ce qui est plateforme logistique, port, aéroport… Pour se déplacer de la Tunisie vers le reste du continent, il faut passer par d’autres continents ou d’autre pays, avec des vols de 24 heures… » De même, poursuit l’expert, le réseau bancaire national ne permet pas d’accompagner les ambitions panafricaines du secteur public comme privé. « Le réseau bancaire tunisien doit être plus présent sur le continent. »

Lire aussi Tunisie « Le Start-up Act a été élaboré par les acteurs eux-mêmes

En attendant, de plus en plus de start-up tunisiennes innovent et exportent du savoir-faire technologique local vers d’autres continents comme l’Europe. À l’instar d’Enova Robotics, une start-up pionnière en Afrique et dans la région Mena dans la fabrication et l’exportation des robots mobiles. « Je suis à l’origine enseignant-chercheur de formation. J’enseignais à la Sorbonne depuis 2004. En 2014, j’ai décidé de changer de casquette et de rentrer en Tunisie pour créer la première start-up en Afrique et dans la région Mena, qui fabrique sa propre marque de robot », explique Anis Sahbeni, CEO et fondateur d’Enova Robotics. Et de souligner « Nos robots sont entièrement fabriqués en Tunisie, de la conception à la fabrication, en passant par l’IA. Avec un taux d’intégration qui dépasse les 70 %. »

Basée dans la zone dédiée à la Tech tunisienne, Innovation City, à Sousse, l’entreprise, qui compte une filiale à Paris, est spécialisée dans le secteur de la sécurité. « Notre objectif est d’aller sur le marché international. On a commencé par l’Europe. On travaille pour Airbus, Michelin, Securitas… Et le but est de pénétrer, progressivement, l’industrie de la sécurité à travers cette innovation. » Une ambition encouragée par un écosystème propice à l’innovation explique Anis. « L’écosystème tech tunisien est en effervescence et encourage de plus en plus de start-up à l’innovation et à l’internationalisation. À travers le Start-up Act notamment qui lève une série de barrières, notamment pour l’export, et facilite les relations avec l’administration… on devient ainsi compétitif par rapport aux start-up européennes ». Même si, concède-t-il, il reste des améliorations à faire. « En Autriche par exemple, on compte 250 000 start-up, avec un taux moyen d’employabilité de 2,5 par start-up, donc 500 000 acteurs de l’économie autrichienne travaillent avec des start-up. Aujourd’hui, c’est dans ce sens qu’il faut aller : l’innovation qui part de l’Afrique vers les États-Unis et ailleurs dans le monde. »

L’Afrique étant également un marché qui séduit de plus en plus la jeune société. « Nous avons visé dans un premier temps le marché européen, en attendant l’Amérique, parce que c’est le marché le plus mature pour absorber ce type de technologie. Mais l’Afrique, avec la croissance qu’elle réalise, est un marché à cibler. D’ici 2025, au plus tard 2030, Enova sera présente sur le marché africain. »

Lire aussi Numérique : Orange met le cap sur les incubateurs

Jeu vidéo, animation, 3D, réalité virtuelle…

Et il ne sera pas le seul. Si depuis la création du Start-up Act, la Tunisie connaît une augmentation de 30 % de créations de jeunes pousses, de plus en plus sont directement orientés vers le marché africain. Avec des projets plus ou moins ambitieux, surtout un savoir-faire très poussé. Dans le domaine de l’intelligence artificielle notamment que les jeunes entrepreneurs tunisiens ont immédiatement intégré à leur soif d’entreprendre. « Je pense que l’expertise tunisienne est multiple. Nous avons cette chance, pour un petit pays, d’avoir de bonnes universités et instituts technologiques, qui couvrent bien le territoire et qui ont une approche multisectorielle, informatique, mécatronique, robotique… Mais force est de constater qu’actuellement de grands efforts sont réalisés autour de l’IA. Le Gouvernement tunisien a pris conscience de l’importance de l’IA & de l’industrie 4.0, et en a fait une priorité, il peut compter sur un écosystème start-up très performant, et sur sa diaspora. La Tunisie se classe ainsi 2e en Afrique du Government AI Readiness Index (2019) qui évalue la capacité des gouvernements à tirer parti des avantages de l’IA. Mais il y a un secteur totalement méconnu qui a émergé autour de l’École 3D Netinfo, c’est un écosystème lié à l’industrie créative culturelle digitale, c’est-à-dire le jeu vidéo, l’animation, la 3D, la VR, les effets spéciaux, qui permet à la Tunisie d’être avec l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria en pole position sur cette industrie du futur. L’expertise tunisienne commence à être reconnue en Afrique subsaharienne et est recherchée. »

Lire aussi Numérique – Éric Bazin : « Start-up africaines : croyez en vous ! »

Bizerte Smart City, un laboratoire africain

D’autant que le laboratoire tunisien ne cesse de s’enrichir, en termes d’initiatives publiques comme privées. Plusieurs projets de smart city émergent aussi, notamment à travers l’initiative Tunisian Smart City. Mais également l’association Bizerte 2050, créée en 2009 qu opère pour le développement de la région de Bizerte à travers des concepts innovants, inclusifs et futuristes. Bénéficiaire d’un partenariat avec l’Union internationale des télécommunications, Bizerte Smart City est inscrite parmi les quatre premières villes intelligentes et durables au monde, aux côtés de Dubai, Pully (Suisse) et Singapour. Et alors que l’Union africaine l’a intégré à son agenda 2063 concernant la transformation de l’Afrique, elle fait, à ce titre, office de laboratoire africain…

By RL

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

wpChatIcon