Le Tunisien, surtout celui qui pratique la politique ou s’y essaye, pratique aussi immanquablement la langue de bois. Et on a beau passer par des événements qu’on est en devoir d’appeler révolution, pour être conforme avec la langue de bois du moment, l’on a réussi à inventer un ensemble de vocables que chaque politicien ou apprenti politicien qui se respecte ne manque pas de vous servir. Certains de ces vocables garnissent l’introduction, ainsi l’on n’oublie jamais, en commençant un speech, de prier pour que Dieu bénisse les martyrs et que les blessés de la révolution recouvrent leurs droits … Il est de bon ton, en plein milieu du discours de faire un clin d’œil à la jeunesse, de plaindre le triste sort que lui a réservé l’ancien régime et de la glorifier comme libératrice de la nation … Oui, la jeunesse tunisienne a réussi la révolution, une révolution à nulle autre pareille … La plus soft de toutes les révolutions du monde … Et, les plus versés dans cette langue de bois, s’étendront sur la révolution du jasmin qui a inauguré le printemps arabe, et salueront le peuple Tunisien, le seul parmi les peuples arabes qui a su sauver ce printemps du sang et des larmes que l’on voit couler ailleurs … Toujours dans ce jargon d’ébène, on citera volontiers le « standing ovation » du congrès américain en hommage au peuple Tunisien et à sa révolution … Et puis, on parlera de l’énorme capacité consensuelle des Tunisiens, de la réussite de la transition démocratique, d’une constitution unique sur terre, etc. , etc. , etc. … C’est à peine si l’on est pas sous le Bourguiba de fin de règne ou le Ben Ali du Etta7awol al moubarak … Le Tunisien est-il à ce point aliéné à la langue de bois ? Ne peut-il pas s’en passer ? Je rêve d’un politicien qui ne me parle pas de révolution, ni de jeunesse, ni de constitution, ni de transition mais plutôt des problèmes de tous les jours, des écoles d’ingénieurs fermées pendant plus d’un mois, des prix des denrées alimentaires qui flambent de jour en jour, des vraies causes des émeutes de Dh´hiba et Ben Guerdane, de ce qui est fait concrètement pour retrouver les assassins et les commanditaires des assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi qui courent toujours depuis deux années, etc. , etc. , etc.
En effet, le comportement de nos politiciens n’a pas changé. La mentalité est toujours et encore la même. Le discours politique est encore construit autour de mots clés populistes qui forment, au final une langue de bois partagée par tous, que chacun instrumentalisme pour son intérêt propre. C’est la preuve que révolution, il n’y a pas eu. Parce que la révolution, c’est d’abord et surtout dans les têtes, dans les mentalités, dans le sens que l’on donne au pouvoir. Or, le pouvoir, on l’a vu, lors de la formation du nouveau gouvernement, c’est gouverner, c’est tout. Sans programme. Et cela donne des ministres sans feuille de route qui ne savent que faire. Et pour le moment, ils se taisent. Têtes de bois, à défaut de langue de bois !