La Tunisie, laboratoire de la transition démocratique dans les pays arabes ?
Quand on est tunisien et qu’on a vécu la chute du dictateur Ben Ali suite à une déferlante populaire défiant un régime qui interdisait le moindre souffle de liberté, et quand on entend des voix qui murmurent que cette chute n’aurait pu avoir lieu sans le soutien des États-Unis, on ressent, d’abord, un pincement au cœur, puis on commence à se poser des questions.
Le pincement au cœur s’explique par le sentiment d’être spolié d’un objet précieux qu’on aime à croire avoir gagné de haute lutte. Cet objet qui s’appelle délivrance de la dictature et ouverture d’une voie vers la liberté et la démocratie. L’on a naturellement envie de sentir que le peuple est maître de son destin et que sa volonté a poussé le dictateur à la fuite. Et, pour l’avenir, on préfère être sûr que, s’étant libéré par sa propre volonté, le peuple puisse décider de son avenir sans ingérence ni influence.
Quant aux questionnements, ils s’imposent d’eux-mêmes à notre raison. Dans un monde globalisé, un monde où les intérêts des nations sont si interdépendants et où les ingérences visibles ou cachées sont si fréquentes, peut-on croire à une neutralité complète de différents pays ou coalitions ? Certains indices permettent de répondre partiellement à cette interrogation.
En effet, pour ce qui est de la France, ancienne puissance colonisatrice et principal partenaire économique de la Tunisie, on a la certitude que la révolution tunisienne lui fut complètement étrangère. Les affaires que faisaient encore, fin 2010, les parents de la ministre des affaires étrangères française avec un homme d’affaires proche du clan Ben Ali en Tunisie et le soutien sécuritaire qu’elle proposait au régime du dictateur en plein soulèvement populaire pour l’aider à mâter ce soulèvement ne laissent aucun doute sur la position française. Ceci permet même de constater que la classe dirigeante française ramait dans le sens inverse du courant qui traversait la Tunisie.
La grande question est de savoir quel rôle ont joué les États-Unis d’Amérique dans la chute de Ben Ali. Il semble que l’administration Obama a au moins veillé affectueusement sur la montée crescendo de la vague de protestation de la jeunesse tunisienne. En amont de cette vague, les câbles diplomatiques américains distillés par Wikileaks ont, en officialisant les rumeurs de corruption tous azimut du régime de Ben Ali et en le qualifiant de quasi-mafia, fourni à la jeunesse tunisienne le carburant nécessaire à une mobilisation sans précédent sur Facebook. Facebook qui a été lui-même protégé par une mise en garde solennelle du département d’État des États-Unis dès lors que la cyber-censure de Ben Ali a entamé le piratage des comptes des jeunes tunisiens sur le réseau américain. Ainsi mise à nu, la dictature a été définitivement abandonnée quand le mouvement de révolte est arrivé à sa culminance en conseillant au dictateur de respecter la volonté du peuple de manifester pacifiquement et en poussant au ralliement de l’armée aux côtés des manifestants.
L’épilogue de la révolution tunisienne a été salué par une standing ovation au Sénat américain: le premier épisode de la transition en Tunisie s’est passé d’une manière quasi-parfaite !
Osons admettre qu’une convergence de la volonté populaire tunisienne et des intérêts américains a précipité la chute d’une dictature sévère qu’on ne pensait pas voir s’écrouler si vite. Et essayons, dans la suite, d’examiner les ressorts de cette volonté populaire et les contours de la stratégie américaine dans notre région. Cette stratégie qui mise probablement sur la Tunisie comme le laboratoire idéal pour observer un nouveau modèle de transition démocratique dans le monde arabe.
(demain … la suite de la réflexion)